L'amour, la paix... et la liberté.

Aujourd'hui on avait rendez vous dans le centre de migrants de Oaxaca pour jouer. Des quatre migrants de la veille, trois avaient repris leur route. On a décidé de partir à la recherche du curé qui s'occupe du centre. En effet, ce sont des religieux qui accueillent et s'occupent des migrant.es, des jésuites. L'Etat leur permet d'avoir le local. Ils ont le droit de rester trois jours et trois nuits. Certains se reposent à peine et reprennent leur route vers le  nord, d'autres entament des démarches pour résider au Mexique alors ils peuvent rester plus longtemps. Le centre d'Ixtepec est le plus grand de l'Etat de Oaxaca, il est à 5 heures de route, 800 migrant.es y passent chaque années.
On est parties à la recherche de la "Paroquia Cristo Rey" derrière la gare de seconde classe, prêt du grand marché de la central.

 "Tout droit puis à gauche, toujours tout droit"

On s'est enfoncées derrière la gare. Les voitures, les chiens, les taquerias aux eaux troubles, les vendeuses de jicama, les stands où résonne la musique à fond entre les pochettes colorées de DVD piratés... On cherche le toit de l'église, en vain. Derrière un vndeur ambulant et un groupe d'hommes, une ruelle.

"C'est par là"

Une fête. Des couples de danseurs vêtu.es de costume traditionnel colorés dansent, environ 80 personnes sont présentes. La paroisse est petite, simple, peinte en beige et en doré pour imiter les riches églises du centre ville où l'or volé aux gens de cette Terre éblouit dès le seuil. Sur la droite, la Vierge de Guadalupe; sur la gauche, Jésus avec son auréole de lumière. Dans un cercueil de verre, Jésus sanguinolent sous son linceul. Des dizaines de bouquets ornent l'église, les fleurs sont ravissantes.

On demande où se trouve le Père. Un homme d'une cinquantaine d'années s'avance avec son sandwich qu'il me postillone dessus sans avoir l'air de l'ignorer ou de s'en inquiéter. Il porte un chapeau noir, un polo rouge, de vieilles chaussures vernies et un pantalon à pince. On dirait un vieux communiste! Il nous dit qu'on peut jouer là si on veut, sans micro pour ma guitare d'enfant, ça va pas le faire. Il nous serre la poigne. Je lui demande comment on se rend à Ixtepec, il me répond que là bas il y a 800 migrants.

Un vieil homme parle dans un micro qui date d'Erode, les gens ont l'air d'y faire moyennement attention, pourtant, tout le monde a bien compris que le seul lot de la tombola en jeu et une "licuadora". Un beau ruban bleu orne avec malice le carton du gros lot ménager.

Je sors m'acheter une tlayuda, un homme s'approche et me prie de lui en acheter une, il a faim. Il me remercie cent fois, dans ce quartier il n'y a pas de viande, une tlayuda, ça coûte 1 euro... (énorme tortilla avec de la purée d'haricot rouge, de la salade, du fromage et une sauce pimentée à l'ail)

La populace est majoritairement autoctone, des "Indiens" comme on dirait en France. Etre "indigena" au Mexique, ça veut dire être un fantôme. Un être sans aucun droit dont la misère est une malédiction qui se transmet de génération en génération. Je dois changer de place car la femme en face de moi pue la misère, ça me prend à la gorge et je ne peux rien avaler.

Un groupe d'homme en habits traditionnels entre en scène, ils miment "los abuelitos de Michoacan", ils portent des masques rieurs de grands pères, des chapeaux de pailles avec des rubans qui ressemblent assez à ceux que je connais du Chiapas, des cannes. C'est très drôle.

On rentre tous dans la paroisse, le sermon va commencer. L'odeur me fait faire un pas en arrière, une dizaine de "clochards" sont assis où je suis. Les familles entrent aussi, un chien s'est enamouré de mon étui à guitare, il passe entre les fidèles (entre les damnés).

Une musique de fanfare stridente résonne dans la paroisse. Le père s'est vêtu de blanc. Il commence son sermon. "Le règne de Dieu c'est l'amour, la paix et la liberté... c'est très éloigné de ce qu'on vit ici avec toute cette violence, les enlèvements ..." Il dit parle des migrants et de "nos proches aux Etats Unis". Puis recommence la musique. C'est tellement fort, c'est tellement strident que c'est à se demander si ça n'est pas juste pour réveiller un vieux barbu qui a oublié ces gens là depuis sont putain de nuage.

"Si près des Etats Unis d'Amérique et si loin de Dieu" dit le dicton...

A la sortie, un bel orchestre à vent d'enfant nous attend. On s'attend à de fausses notes dissonantes, à une continuité dans le registre. Pas du tout, ça sonne bien, ça sonne même très bien. Le chef d'orchestre est debout sur une chaise vernie, son ombre grandi sur un rideau de scène rouge. Une sourde muette traduit la musique vers un groupe de sourd muet, elle reproduit les fréquence de la musique avec ses bras. C'est magnifique! Au premier rang, 5 filles clarinettistes, elles sont timides face au tuba et aux trompettes masculines qui les appuient. Mais elles sont là, au premier rang. Ils jouent une belle valse. La scène est surréaliste. Une vielle "Indienne" écoute perplexe sous sons chapeau de paille de la costa, moi je me balance sur ma chaise en riant. Les gens sont contents. Ma voisine a gagné la "licuadora", elle est aux anges!

©Emilie Mourgues


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