Carlos

Carlos a 23 ans. La première fois que je l'ai vu, il portait une tunique blanche d'infirmier et suppliait de lui ouvrir la porte de la maison où nous sommes hébergées d'un air pressé. Il était 7 heures du matin et je refusais de sortir de mon sac de couchage faisant fis de la sonnette stridente qui perturbait le peu de répis que me laissaient les mosquitos.
Il loue une chambre dans cette maison et vient une fois par semaine de Toluca. Je n'ai pas bien compris pourquoi mais il étudie la médecine d'où son accoutrement. Il se tient très droit et fait beaucoup de manières galantes qui me font beaucoup rire. Ce matin, je me suis excusée pour le loquet fermé et il m'a beaucoup parlé. Son père est mort très jeune et il a dû s'occuper de sa mère très tôt. L'etat de México (autour de la ville) est un des plus violent du pays, c'est à dire qu'il est régit par des bandes organisées qui séquestrent, volent etc... Il doit prendre l'autoroute payante pour venir à México, elle coûte 70 pesos pour faire trente kms (5euro), "Sur la route gratuite tu te fais braquer. Ici, quand tu n'as pas d'argent, tu n'as pas trop le choix: où tu raquettes ou tu te fais dépouiller"
Quand on a 16 ans, le choix est vite fait. Il a braqué des voitures et commencé sa carrière de médecin en faisant des bandages à ses potes qui revenaient blessées de leurs maudites escapades. Il a enlevé des balles, recousu, soigné, fait et vu pleins de choses qu'il n'a pas voulu me raconter. Derrière ses bonnes manières c'était difficile à croire et pourtant... Il a fait le choix de revenir dans le droit chemin pour ne pas se faire crever comme un chien, comme ces dizaines de visages mal photocopiés de disparus qui jonchent les avenues du metro. "Ce gouvernement est tellement mauvais... il n'a même pas été élu, ils nous taxent comme jamais pour construire des routes qui ne verront jamais le jour, ils gardent tout pour eux. Ce jeune con que tu vois à la télé est un pantin, derrière il y a les plus grands truands du pays qui font appel aux bandes organisées pour faire le sale boulot, si tu savais ce que j'ai vu dans mon barrio... Et nous on n'a aucune alternative, tout le monde nous vole, le gouvernement comme les bandes, comme les flics. Il n'y a pas d'issue à cette situation, j'aimerai voir la France avec votre sécurité sociale..."
Ses yeux brillent. Il n'a jamais été à la basilique du Tepeyac alors on a décidé d'y aller ensemble. "Pour moi la religion, c'est très important tu comprends, ça m'a aidé à ne pas devenir un diablito, à devenir bon, à faire le bien, à soigner les gens." Quelle belle étoile tu as Carlos... passer de malfrat à médecin c'est pas donné à tout le monde! Il me remercie. Il est tellement courtois et tellement jeune que le décalage est surprenant avec ce qu'il me raconte. Pourtant, ses yeux brillent d'une belle sincérité.
On va à la basilique, il prie, moi aussi même si je sens tout le poids des mensonges de l'église étouffer une belle énergie puis en rentrant, il m’ausculte. Carlos est très savant, il travaille comme un fou et connaît très bien le corps humain. Il me montre où est mon estomac, mon foi, mes artères. Il a écouté mon cœur et m'a tendu le stéthoscope. Moi aussi j'ai écouté son cœur.

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