Eric Fassin : “Dénaturaliser l’ordre des choses"


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Eric Fassin est sociologue à l’École normale supérieure et chercheur à l’Iris. Il a publié en 2009 « Le sexe politique ». Il répond à nos questions sur l’introduction du genre dans les programmes scolaires à partir de la rentrée 2011.
Le genre fera cette année son entrée dans les programmes de science et vie de la terre de classe de première. Pourquoi a-t-il fallu attendre 2011 ?
En France, la résistance au féminisme a fait obstacle à l’institutionnalisation des études de genre dans les années 1980, au contraire des États-Unis. Ensuite, dans les années 1990, le refus du gender (réputé intraduisible) a été « nationalisé », avec des argumentaires sur « l’exception française » (le « doux commerce » entre les sexes), par opposition à la « guerre des sexes » censée régner en Amérique. Des échos s’en font entendre autour de l’affaire DSK... Toutefois, dans les années 2000, avec la parité, les choses bougent : l’affichage de l’égalité entre les sexes comme signe de modernité dé- mocratique légitime quelque peu les études de genre. Les nouveaux programmes de SVT montrent que ce début de reconnaissance institutionnelle atteint l’enseignement secondaire ; en outre, il s’agit des sciences de la nature, et pas seulement humaines :même la nature est (enfin) dénaturalisée.

Les théories du genre subissent des attaques permanentes des sphères religieuses. Pourquoi ?
Les programmes parlent également de contrôle de la reproduction (contraception, avortement). Or c’est contre le genre que la droite religieuse concentre ses attaques.
Dès la conférence de Pékin sur les femmes, en 1995, le Vatican a compris que ce concept ouvrait la porte à des remises en cause. Dans les manuels, il est question de transsexualité et d’intersexualité, mais aussi d’homosexualité : ni le sexe ni l’orientation sexuelle ne sont simplement donnés par la nature. C’est nous qui définissons l’ordre des choses, et non quelque principe transcendant. Confrontées à cette logique démocratique, les autorités religieuses redoutent de perdre tout contrôle sur le monde.
Comment expliquer la difficulté, au-delà des seules sphères religieuses, de convaincre du caractère social des différences femmes-hommes ?
Si l’ordre des choses est un ordre naturel, alors, ce qui est doit être. Pour lutter contre cette (fausse) évidence, qui donne aux inégalités une apparence de nécessité, un travail
de rupture doit être mené. C’est vrai dans tous les domaines : ainsi, la critique marxiste visait à dénaturaliser le capitalisme, dont l’idéologie fait apparaître l’ordre économique comme naturel. On prend aujourd’hui conscience que même l’ordre des corps, des sexes et des sexualités n’est pas fondé en nature : c’est l’extension du domaine démocratique aux questions sexuelles.

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