Emilie, doctorante canadienne à Paris, menacée d'expulsion
Publié le 09-12-11 ICI
Les étudiants étrangers font les frais de l'objectif de réduction de l’immigration légale. Comme Emilie, brillante thésarde québécoise, privée de son visa étudiant. Portrait.
. (Cyril Bonnet - Le Nouvel Observateur)
Depuis six ans, Emilie Adam-Vézina était une brillante doctorante québécoise à Paris. Depuis deux mois, elle est sans-papiers. Et depuis le 8 décembre, elle risque d’être expulsée.
Au départ, il y a les dégâts de la circulaire Guéant du 31 mai, qui a privé des centaines de diplômés -voire surdiplômés - étrangers d'un premier emploi en France. En voici une nouvelle variante, qui s'attaque désormais aux étudiants... en cours d'études. Emilie en a fait les frais : le renouvellement de son visa vient d'être refusé, alors qu'elle n'a pas encore terminé sa thèse.
En juin 2011, deux mois avant l'expiration de son titre de séjour "étudiant", Emilie sollicite son renouvellement, comme chaque année. Et là, surprise : "On me demande impérativement la date prévue pour la soutenance de ma thèse". Emilie s'est fixé un objectif à l'automne 2012. Mais donner une date précise ? Impossible. "Je leur ai dit : 'Je pourrais vous mentir, mais honnêtement, je n'en sais rien'. On ne peut pas évaluer la durée d'une thèse en sciences sociales comme pour les sciences dures, la démarche n'est pas du tout la même. On travaille avec des humains, ce n'est pas figé".
Premier réflexe, Emilie pense aux entretiens de validation qu'elle doit encore mener avec des femmes en France pour confirmer ses analyses de thèse. "Je me suis effondrée. Une incompréhension totale. Je suis ici depuis six ans, j'ai une vie personnelle et professionnelle, un appartement. Je n'avais jamais imaginé qu'on puisse me refuser de finir mes études, je pensais avoir été un bon soldat."
Sans titre de séjour, du jour au lendemain Emilie n'a plus aucun revenu. "Non seulement je ne peux plus travailler car la fac ne peut pas employer quelqu’un en situation irrégulière, mais je suis coupée de tous les droits sociaux pour lesquels j'ai cotisé depuis 2006".
Les lettres de soutien d’enseignants, d’universitaires, de chercheurs, se multiplient ; la pétition "Non à l’expulsion d’Emilie !" a été signée par près de 2.000 personnes à ce jour sur le site du Réseau Education Sans Frontières (RESF).
Pour "sauver sa peau", Emilie se surprend à faire des choses impensables. "Moi qui suis très timide, j’ai croisé un homme politique dans un restaurant, et je suis allée l’interpeller !" Elle qui espérait rester en France et demander la nationalité française, finit par se demander si ses compétences ne seront pas plus valorisées ailleurs.
"Cette nouvelle politique est en contradiction totale avec la volonté d'attirer les meilleurs étudiants et chercheurs, qui font le rayonnement de la recherche et de l'enseignement français au niveau international". Elle va même jusqu’à s’inquiéter pour ce pays d’adoption qui la rejette : "Je ne voudrais pas que l'image de la France soit ternie". Pas rancunière.
Lisa Vaturi – Le Nouvel Observateur
Au départ, il y a les dégâts de la circulaire Guéant du 31 mai, qui a privé des centaines de diplômés -voire surdiplômés - étrangers d'un premier emploi en France. En voici une nouvelle variante, qui s'attaque désormais aux étudiants... en cours d'études. Emilie en a fait les frais : le renouvellement de son visa vient d'être refusé, alors qu'elle n'a pas encore terminé sa thèse.
"J'étais au service de la recherche française"
Emilie est arrivée en France en 2005. "Une chercheuse française que j'ai rencontrée à Montréal m'a proposé de l'accompagner en France pour faire mon doctorat et poursuivre mes recherches dans son laboratoire". Pour Emilie, élevée dans un "bain bi-national avec un beau-père français ", comme elle dit avec son accent québécois, "venir faire des études en France avait un sens". Elle entame un doctorat d'anthropo-sociologie à l'Université Paris 7 Denis-Diderot. Intitulé de sa thèse : "les trajectoires migratoires et thérapeutiques de migrantes africaines en France et au Canada, atteintes du VIH-sida". Pendant six ans, elle enchaîne les contrats de recherche, qui lui fournissent des revenus, les publications scientifiques, organise bénévolement des colloques, des séminaires, obtient un financement d'un an de Sidaction… "J’étais au service de mon labo, de ma fac, et de la recherche française".En juin 2011, deux mois avant l'expiration de son titre de séjour "étudiant", Emilie sollicite son renouvellement, comme chaque année. Et là, surprise : "On me demande impérativement la date prévue pour la soutenance de ma thèse". Emilie s'est fixé un objectif à l'automne 2012. Mais donner une date précise ? Impossible. "Je leur ai dit : 'Je pourrais vous mentir, mais honnêtement, je n'en sais rien'. On ne peut pas évaluer la durée d'une thèse en sciences sociales comme pour les sciences dures, la démarche n'est pas du tout la même. On travaille avec des humains, ce n'est pas figé".
"Obligation de quitter le territoire français"
Après plusieurs allers-retours à la préfecture, le couperet tombe. Elle reçoit, datée du 8 novembre, une lettre de la Préfecture de police portant le sigle " OQTF ". Traduction : "obligation de quitter le territoire français". Dans un délai de 30 jours. Délai expiré, donc, depuis le 8 décembre. Mais le plus choquant, pour Emilie, est la violence du motif invoqué : "progression insuffisante de son cursus". On estime qu’elle met trop longtemps à achever ses travaux, alors même que tous les chercheurs de son domaine reconnaissent qu'une thèse de sociologie peut se prolonger, parfois, pendant dix ans.Premier réflexe, Emilie pense aux entretiens de validation qu'elle doit encore mener avec des femmes en France pour confirmer ses analyses de thèse. "Je me suis effondrée. Une incompréhension totale. Je suis ici depuis six ans, j'ai une vie personnelle et professionnelle, un appartement. Je n'avais jamais imaginé qu'on puisse me refuser de finir mes études, je pensais avoir été un bon soldat."
"Je me mets à flipper quand je croise des policiers"
Emilie bascule dans une autre réalité : elle est désormais sans-papiers. "J'étudie des cas de femmes africaines à qui cela arrive tout le temps, et tout à coup, je me retrouve dans la même situation qu'elles. Certes, je suis blanche, je sais que j'ai peu de risques de me faire contrôler. Mais on pense à des choses auxquelles on ne pensait pas avant : on se dit qu’un accident de vélo est vite arrivé, je me mets à flipper quand je vois des policiers". Tout à coup un sentiment de grande précarité. "Bien sûr, je pourrais retourner au Québec, je ne viens pas d'un pays en guerre. Mais venir vivre en France a été un vrai choix".Sans titre de séjour, du jour au lendemain Emilie n'a plus aucun revenu. "Non seulement je ne peux plus travailler car la fac ne peut pas employer quelqu’un en situation irrégulière, mais je suis coupée de tous les droits sociaux pour lesquels j'ai cotisé depuis 2006".
"Une tache dans notre coopération scientifique avec le Canada"
Après la stupeur, vient la combattivité. Aidée d'une avocate, elle a déposé deux recours auprès du tribunal administratif. Mais les procédures peuvent prendre des mois… Le président de l’université Paris 7 a écrit au Préfet pour solliciter le réexamen du dossier de "cette étudiante à la fois brillante et fortement intégrée", qui s’est "donnée sans compter dans les travaux collectifs de son laboratoire". Et souligner combien "les institutions canadiennes seraient à juste titre offusquées par la confirmation de cette mesure d’éloignement, qui serait une tache dans notre coopération scientifique".Les lettres de soutien d’enseignants, d’universitaires, de chercheurs, se multiplient ; la pétition "Non à l’expulsion d’Emilie !" a été signée par près de 2.000 personnes à ce jour sur le site du Réseau Education Sans Frontières (RESF).
Etudiants placés en centre de rétention
L’Association des sociologues enseignants du supérieur, elle, fustige "la politique répressive et abusive du gouvernement à l’égard des étudiant-e-s et collègues étrangers". Dans une motion, elle s’indigne du fait que ce soit "un agent préfectoral qui juge de la pertinence du travail mené par nos étudiants. Cela n’est pas son métier". Et ajoute : "Nos étudiants sont de plus en plus nombreux à être sommés de quitter le territoire français, placés en centre de rétention, expulsés, alors qu’ils devraient travailler leur exposé, réviser en vue de leur partiel, rédiger leur mémoire ou encore accomplir leur stage".Pour "sauver sa peau", Emilie se surprend à faire des choses impensables. "Moi qui suis très timide, j’ai croisé un homme politique dans un restaurant, et je suis allée l’interpeller !" Elle qui espérait rester en France et demander la nationalité française, finit par se demander si ses compétences ne seront pas plus valorisées ailleurs.
"Cette nouvelle politique est en contradiction totale avec la volonté d'attirer les meilleurs étudiants et chercheurs, qui font le rayonnement de la recherche et de l'enseignement français au niveau international". Elle va même jusqu’à s’inquiéter pour ce pays d’adoption qui la rejette : "Je ne voudrais pas que l'image de la France soit ternie". Pas rancunière.
Lisa Vaturi – Le Nouvel Observateur
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