La République des Chiennes

 Gilles Chatelet in « Résister – Vivre la mémoire » Paris 1974 



 
Que veulent donc les Chiennes, se demande l’opinion, toujours un peu débonnaire, toujours un peu agacée. Ah ! oui !... Elles veulent exister… Elles veulent transmettre quelque chose… Elles veulent se confectionner leur petite Shoah… 

  Rassurons tout de suite les dames sondeuses de l’INSEE et les certifiés répéteurs en sociologie : les Chiennes n’ont rien à transmettre de père en fils et ne prétendent pas réclamer de « traditions culturelles ancestrales » comme de vulgaire chasseurs de palombes. La République des Chiennes n’est ni une entité biologique, ni une nation de pathologies psychologiques (une association d’enfants de parents divorcés) ou de bizarreries génériques ou physico-chimiques (si certains d’entre nous apprécient la chimie, c’est pour jongler avec nos perceptions…)

  Serions-nous une tranche d’âge ? Serions-nous des 18-25 ans, des 25-49 ans ? Encore moins ! Le regard et la tronche de Jean Genet ou William Burroughs – nés dans les années 20 – feraient pâlir d’envie beaucoup de grands dadais de la génération Yoplait. 

  Céline disait très bien que « le cul est la revanche du pauvre ».  C’est aussi la botte secrète de la République des Chiennes contre la tyrannie du juridico-statistique. Bien sûr, il faut des Etats de droits, des C.U.C., et rendre à Badinter ce qui à Badinter, mais il faut aussi rendre à la Folle Tordue ce qui est à la Folle Tordue. Car la Folle Tordue est et sera toujours plus politique que toutes les papesses de la communication. Avec quelques frous-frous, la Folle Tordue peut incendier une salle ou une génération.
La vérité du politique, c’est la capacité à casser les briques de la routine, à faire entendre une nouvelle harmonique. La vraie politique a montré le nez lorsque la Folle Tordue, toujours souillée, méprisée, raillée est partie à la conquête du monde pour annoncer la Bonne Nouvelle : « Ce que Kenneth Anger a osé à San-Diego, ce que Genet a osé à Hambourg, des dizaines de millions de Chiennes peuvent le faire aussi. Le temps est venu de la résurrection des corps ». 

  Une poignée de Folles Tordues avaient réussi un miracle : donner du swing à la Classe Moyenne Mondiale, et transformer son troupeau de brebis - pucelles et de louveteaux - puceaux en joyeux barbares, en agiles soldats du plaisir. 

  Que reste-t-il des Chiennes, des crétin - politiciens cyniques et grassouillets du début des années 70 ? Bien peu de choses… mais beaucoup se souviennent de nos Folles Tordues locales, de nos Gazolines, de ces Chiennes élégantes et libres, qui savaient, avant tout le monde, qu’une petite lingerie sur une croupe de beau gars peut changer le monde comme le nez de Cléopâtre. 


  Nous, les Chiennes, ne sommes pas nostalgiques. Nous marchons la tête haute, avec les puissances de l’Eveil. La Moyenne nous haït souvent et c’est notre honneur : nous n’existons pas en tremblant de ne pas ressembler aux autres. Nous sommes les vrais écologistes : nous ne prenons pas notre plaisir à proliférer comme des lapins, notre sexualité échappe à toute fonction – ce qui désespère souvent les curés, les rabbins, les pasteurs ou les natalistes. Nous ne sommes pas un troupeau agenouillé pour croire. Nous ne sommes ni de la chair à canon pour militaires ; ni de la chair à bon choix pour les politiciens.
Nous ne sommes pas une espèce sexuelle particulière. Nous sommes carboniques et métalliques (comme l’acier, implacable et fragile… copulation du fer et du diamant). Personne ne nous fera choir dans les manuels de sociologie. Nous ne sommes pas homosociaux, nous sommes les vrais païens : nous propageons nos descentes de reins, nos crinières, nos gestes amicaux. Nous aimons les aigles et les lions, mais nous savons pleurer l’âne qui meurt sous les coups. 

  Nous hantons les Raves, les parties fines et les bals du 14 juillet. Nous aimons les gueules populaires et les silhouettes aristocratiques. Nos slogans tam-tament le monde parce qu’ils y vont de notre peau, de nos regards, de nos hanches et de nos clins d’œil. Nous sommes la multitude des bouches à oreille, nous savons mettre la politique à portée de voix ou d’amour. Nous ensorcelons l’Universel dans le Singulier, la Grande Dimension dans la Petite. Nous haïssons la Moyenne populacière qui applaudit lorsque Cinq-Mars est décapité, celle qui aime voir empaler ceux qui risquent ce qu’elle n’osera jamais

  Depuis quinze ans, la Moyenne ricane : « Fini de rire les Chiennes ! Voici venu le Temps du Repentir. Sortez vos fouets ! Mais cette fois, c’est pour de vrai ! C’est pour faire pénitence… » Elle accompagne l’abject Carnaval de la Misère, de la Misère et de la Loi du Grand Marché Mondial. 

  Mais les Chiennes ont du cran. Elles ressortent toujours des poubelles de l’Histoire qui regorgent de leurs génies et de leurs martyrs. Salut à toi Oscar Wilde ! Salut à toi Alan Turing, qui a brisé les cordes de la machine nazie ! Salut à vous Michel Foucault, Copi, Guy Hocquenghem qui ont désobéi aux tumeurs, aux sarcomes, aux bacilles en écrivant jusqu’au bout ! 

  La Mémoire des Chiennes ne reste jamais coincée dans les tombeaux. Elle aime prendre feu. C’est une braise agile qui peut embraser la plaine lorsque les blonds épis sont mûrs. La République des Chiennes ne doit pas s’éteindre et ne s’éteindra pas.

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