Entretien de Christine Delphy et Patrizia Romito

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Photographie de Donna Ferrato

LEM: ... j'ai le sentiment que les femmes blanches préfèrent voir les violences commises dans ce qu'un-e commentateur-trice. appelle « les quartiers difficiles », plutôt que dans leurs quartiers, leurs familles, etc. Il s'agit donc bien, là encore, d'une stratégie d'occultation ?



Christine Delphy : Ce ne sont pas seulement les femmes blanches, ce sont tous les Blancs. Ce ne sont pas les femmes blanches qui ont inventé cela, elles n’en ont pas le pouvoir. Pour créer cette croyance il faut de gros moyens, il faut compter politiquement et être à la tête des médias : or qui compte politiquement, qui possède les radios, journaux, qui contrôle les chaînes de télé ? Des hommes blancs. C’est une de leurs réponses au mouvement de libération des années 1970, et spécifiquement aux luttes contre le viol et les violences. Maintenant, et grâce à quelques études arrachées de haute lutte aux institutions de recherche, il existe des chiffres qui disent le nombre de femmes battues, violées, tuées. Pour se défausser de cela, la société blanche - et masculine il va sans dire - a mis l’accent depuis une décennie sur la violence des descendants de l’immigration nord-africaine et subsaharienne. Ils ont aussi créé de toutes pièces un groupe, Ni putes ni soumises, qui est doté de 500 000 euros par an (10 fois plus que la revue Nouvelles Questions féministes n’a obtenu en 30 ans d’existence, 10 à fois plus que SOS Viols femmes information, l’AVFT 4., etc.), et lui ont confié pour mission de se spécialiser sur la violence des « quartiers », une violence qui serait spécifique : due à l’héritage culturel de ses habitants. On a ainsi fait d’une pierre deux coups. D’une part, en disant que la violence contre les femmes existe, oui, mais seulement chez les hommes de culture maghrébine et africaine, on a exonéré la culture française - et plus largement, la culture « blanche » ; à la même époque on a vu apparaître ou réapparaître le mot colonialiste « Français de souche ». D’autre part, on s’est enfin trouvé des raisons honorables de discriminer ces descendants d’immigrés : c’est désormais pour défendre les droits de la femme. A la même époque en effet on a vu réapparaître le mot essentialiste « LA femme ».

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