Le pire serait arrêter de viser les étoiles (1)
Je
me souviens que des millions de français ont interrompu leur vie un
instant, le souffle coupé lorsqu'ils ont appris que des journalistes
avaient été impactés par les balles d'hommes lourdement armés à
la lumière d'un jour comme un autre, dans Paris. Notre bulle de
confort s'est étiolée, brisée. On pouvait être tué pour faire un
travail d'information et d'enquête. On pouvait mourir pour défendre
ses idées.
Javier
Valdez est mort hier au Mexique, à Culiacan dans le Sinaloa. Il a
reçu 12 balles de deux pistolets à midi, alors qu'il quittait son
bureau du journal RioDoce. Je ne le connaissais pas. Mais il faisait
parti de Periodistas de
pie, ce collectif
d'écrivains journalistes de terrain, qui passent des mois avec les
proches de victimes enlevées, torturées, portées disparues ;
au contact permanent avec toutes les associations et ONG de
quartiers, de villages, de villes de la société civile en lutte
mexicaine. Ils luttent pour retrouver leurs morts et leurs disparus, pour pouvoir faire leur
deuil et découvrir la vérité. Ils luttent pour garder leurs
terres, ne pas se laisser disloquer la comunidad
sous les coups des multinationales, de la faim et de la guerre du
Narcoétat mexicain avec les Etats Unis d'Amériques. Ce sont des
mamans qui partent à pied -elles appellent ça les caravanes- à la
recherche de leur fils ou de leur fille partis à pieds eux aussi
vers le Nord. Ce sont des paysans harcelés par l'armée et les
paramilitaires de tous gouvernements qui se font tabassés, violés,
spoliés de leurs terre, leurs langues, leurs racines, leurs familles
et leur peuple.
La
comunidad
au Mexique, c'est la vie. La vraie vie. Celle où l'on construit,
celle où l'on existe, celle où l'on se défend en la défendant,
celle où l'on travaille, celle où l'on résiste, celle où l'on
aime. Un mexicain peut vivre à des milliers de kilomètres de sa
comunidad,
il ne la quitte pas. Elle peut être de sang, de cœur, culturelle ou
spirituelle et même tout à la fois. Javier Valdez était de la
comunidad des
poètes en quête de vérité, défenseur de la dignité à tous
prix, la comunidad
la plus tenace et barje du monde, de ceux qui restent vivre au coeur
de l'enfer qu'ils tente de détruire. Au milieu de leurs rêves de
justice et d'amour. Parce qu'ils ne peuvent pas faire autre chose.
Parce que ce sont des Résistants.
!No
al Silencio ! grito el poeta antes de morir
Rendons
hommage aux gens qui risquent leur vie par amour de cette vie même,
pour que l'Autre cesse d'être étranger à soi même et que demain
soit possible.
(1) phrase de Javier Valdez: "Le pire serait qu'on nous empêche de rêver, d'avoir des illusions, de vouloir être meilleurs, d'aspirer à la justice, la paix et de maintenir la dignité. Le pire serait d'arrêter de viser les étoiles. Nous ne pouvons pas le permettre. Peu importe si nous n'en touchons aucune"
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