"Rue du Grand soleil" petite chronique à la préfecture
Denise me dit souvent que
l'activisme lui manque. Pourtant, entreprendre les démarches administratives
pour qu'elle puisse vivre où bon lui semble et être chez elle avec moi
ici , c'est une des luttes les plus dures, les plus acharnée, les plus
belle que j'ai mené dans ma vie. On s'est lancée dans cette aventure sans y
penser sachant que la folie était nécessaire à une telle entreprise.
Chaque rendez vous à la préfecture est une mission. Il nous
faut nous rendre à Valence qui, quoique où nous sommes se trouve à au moins
trois heures et demie de route en incluant l'autoroute. Il nous faut nous
battre continuellement pour que notre vie cadre avec les cases de l 'Etat.
Par exemple, nos lieux de travail ne sont pas les mêmes que notre adresse
administrative. Allez faire comprendre à un fonctionnaire que vous travailler
de temps en temps où il y a du travail quand il y en a. Ils ont du mal. Et que
vous faites ça en étant mariées, bataillant avec vos employeurs, négociant à chaque
début de contrat votre vie privée et intime. C'est à dire que vous n'êtes pas
seule. Le capitalisme ne comprend pas la vie communautaire, même à deux. Alors
prouver à l'Etat qu'on est deux, qu'on ne ment pas dans ces conditions, c'est
un véritable jeu d'acrobaties.
La dernière fois qu'on est allées à la préfecture c'était
pour renouveler la carte de séjour de Denise. Je travaille sur la presqu'île de
Giens et elle à la station de ski la Toussuire. Je vous invite à taper sur google map,
vous allez vous marrer. Michel, notre ami qui déclare nous héberger entre deux
contrats de travail, entre deux voyages, s'est joint à nous puisque cette
semaine là, avec la grève générale (que nous soutenons), la poste ne
fonctionnait pas bien. Michel m'a rejoint en Avignon chez ma grand mère où on a
passé la nuit, et au petit matin on a rejoint Denise à Valence. Il faut être là
à 8h30 pour prendre le ticket qui permettra qu'on reçoive notre dossier entre
10h et midi. Inutile de vous dire qu'il y a du monde sur la corde à linge
puisque la préfecture reçoit les candidats à une carte de séjour trois matinées
par semaine. Cette semaine là on ne pouvait y aller que le mardi puisque le
lundi était férié, le jeudi en grève générale.
Bref, à chaque fois j'ai des montées de sueurs, de stress
incontrôlable dans cette salle d'attente où personne n'est bien. J'ai toujours
l'impression qu'on va se faire refouler, qu'il faut biaiser pour se faire
accepter par le système alors qu'on veut juste vivre ensemble, avoir un minimum
de droits... Ce jour là, on a attendu deux heures, les toilettes étaient fermés
à cause de vigipirate.C'était le premier jour de mes règles... La gamine qui s'occupait de nous nous a à peine
regarder, elle chicanait sur les dates des documents qui doivent être datés de
moins de trois mois alors qu'on a une facture edf annuelle par exemple, bah la
facture annuelle ça marche pas pour la gamine. Alors je serre les timbres
fiscaux à 120 euros entre mes doigts moites et je les range, les sors, les
range pour qu'au final elle ne me les demande pas puisqu'il faut payer au
retrait. Michel nous accompagne avec la gamine, lui non plus ça lui fait pas du
bien l'administration, on a guère dormi, il tremble aussi et donne sa carte
d'identité en guise de bonne foi. Parce qu'avoir des papiers français dans ce
contexte, ça aide à faire avancer le dossier des autres, à prouver leur bonne
foi, et plus on est mieux c'est. Une fois l'inspection du dossier terminé,
Denise a eu son récépissé et on est parti, lui en voiture, moi en train, elle
en voiture aussi vers nos trois destinations jusqu'à ce qu'ils la reconvoque
pour venir chercher la carte.
Hier au soir, message de Michel : « la préfecture
a écrit. Mon attestation d'hébergement n'est pas valide puisque la facture
d'eau que je leur ai fournie a plus de 3 mois et l'adresse ne convient
pas. » La facture date du mois de février, on est en avril, c'est vraiment
des casses couilles ! Il faut dire que Michel nous héberge à Montbrun les
bains, un bled de 400 habitants dont le cadastre de la mairie date au moins de la Révolution. C'est
à dire que « rue du grand soleil » dans le cadastre de la mairie, bah
ça n'existe pas. C'est « le grand soleil » ou « rue du
beffroi » ou « rue de l'horloge », mais « rue du grand
soleil » non. C'est con parce que tous nos papiers et notre adresse
officielle c'est « rue du grand soleil » à Montbrun. Alors maintenant
qu'EDF et que les factures d'eau sont informatisées, le service client ne peut
pas changer l'adresse parce qu'ils ne peuvent sélectionner que les adresses que
leur système informatique reconnaît, soit celles des cadastres, et leur système
ne peut pas reconnaître une rue qui « n'existe pas ». J'appelle
Michel qui est vachement perturbé, ça fait 30 ans qu'il vit « rue du grand
soleil » ha ha ha ha ha !
Après quelques manifs auxquelles j'ai participé il y a des
années, je me suis toujours éloignée de l’État et du pouvoir, j'ai dispatché mes
adresses au quatre coins de France, pour que le jour où on entre en
dictature, j'ai quelques jours d'avance pour quitter le pays par voies
terrestres ou maritimes. J'ai jamais rien fait de grave à part gueuler un peu
fort et croire qu'on peut destituer un gouvernement avec une manif pacifiste,
mais les coups de bâtons m'ont rendu paranoïaque. Alors croyez moi, essayer
d'avoir des papiers pour ma belle qui a quitté un pays dont les conflits armés
sont parmi les trois plus sanglants du monde, c'est un vrai combat.
Comentarios
Publicar un comentario