"Retraité dans le besoin"

 Ca faisait des mois qu'on n'avait pas mis les pieds en ville. 

On arrive à Marseille après avoir lâché 25€ à Vinci. Cette fois je boude pas, on est éclatées et il nous faut être efficaces. 

Marseille et son chaos. Deux accidents en une demi heure, une meuf en camion recule et arrange le pare choc d'une jeunette outrée. Une dame se gamelle en vélo avec ses sacs de courses. J'ai galéré pour trouver une place gratuite malgré ma connaissance du terrain, un nouveau panneau qui ne m'inspire rien de bon m'a fait changé de lieu. J'ai voulu faire des courses à Monoprix. C'était tellement cher que j'ai du faire le tour du magasin pendant une heure pour trouver de quoi manger.

Un homme en guenille faisait la manche devant la barrière du parking. Il essaie tant bien que mal de la soulever devant le camion de livraison de la grande marque. Difficile de lui faire l'aumône puisque le chauffeur bosse là et que le camion rentrera la marchandise coûte que coûte. Une gitane, le regard vide malgré sa jeunesse ne répond pas à mon bonjour. Je ressens alors ce malaise qu'on oublie vite à la campagne devant la misère. Je regarde mes botines en cuir, je ne suis pas des vôtres. Même si ça veut pas dire que j'ai jamais fait la manche. Cette misère n'est pas comparable.

Ce matin un homme fait le pied de grue devant un bar où le café coûte 2€20, il a une pancarte autour du cou "RETRAITé dans le besoin". Il est pas 9h du matin. Peigné, en vieux costume, il me rappelle la première fois que j'ai pris le bus à Santiago du Chili. La misère latino-américiane est souvent digne et parfumée.

Plus loin un homme de l'âge de mon père fait les poubelles. Il ne se cache pas, y va déterminé, habitué, il est méticuleux. Je trouve une épicerie tenue par un arabe, j'ai dans l'idée que ce sera moins cher que la veille. Loupé. Je ressors "je vais rien prendre, je vous montre mon sac" "Non c'est pas la peine, bonne journée." Il a l'habitude. 

Je finis à la bioccop où les prix sont à peu près pareils dans toute la France. Finalement, l'épicerie bio est devenue la moins chère du quartier. En sortant ma soupe sous le bras, un homme avec un beau masque noir m'interpelle: "Je peux vous demander un service?" A moins de 48h en ville, je m'arrête et pense aux pièces que j'ai sous la main. "Il me manque 80centimes pour ma voiture"  "Pas de soucis, c'est la galère" "Non mais j'ai pas fait exprès"... il fait encore semblant, sans son odeur, j'aurais pu y croire. Je lui lâche mes 2 pièces et rentre à l'hôtel.

L'indignation que je ressens est sauvage. 

J'allume la télé, les députés se disputent sur les mesures à prendre pour la libération à venir de 162 jihadistes.

On ne parlera pas des pauvres ce matin sur la chaîne du Sénat.



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