Libre - Cédric Herrou


Les cris de nuit ont disparu.
Les faisceaux lumineux violant la douceur de la nuit ont disparu aussi.
La chasse à l’Homme est terminée. Les gendarmes s’ennuient, ils se demandent à quoi ils servent. Le teint dépressif, ils sont assis là, nuit et jour, à regarder dans le vide, à observer aux jumelles mes poules à la recherche d’un vers ou, par manque de sauterelles, un brin d’herbe épargné par la chaleur de l’été.
Tchen le gros chien noir a cessé d’aboyer. Elle aussi est triste. La nuit est calme comme avant, l’avant-tourmente, l’avant quand tout était normal. Plus de gamins arrivant comme le vent sans prévenir, après des mois voire des années d’errance entre guerres, mers et déserts. Je n’ai plus de regards venant d’Afrique étincelés par la volonté de vivre. La sensation de réconfort de les savoir arrivés chez moi sains et saufs a disparu. Le plaisir que ces gamins aient réussi à déjouer comme un jeux d’enfant les contrôles policiers, les caméras infra-rouges, les militaires, la Méditerranée.
Ils étaient pour l’Europe bien trop proches. Ici, chez nous, sur nos terres, il était facile de dénoncer, d’humaniser ces flux, ces flots, ces migrants, ces personnes. Il était facile de donner un prénom, un sourire ; il était facile de se battre pour eux, avec eux, grâce à eux.
Le tour est bien joué, plus besoin de sévir à Vintimille, à Menton ou ici dans ma vallée.
Le flux, les flots, les sourires, les yeux étincelants d’avenir resteront loin. Les larmes salées sont désormais leur univers. Je les imagine calmes sans bouger, le regard profond, cherchant le fond. Là-bas plus de sens, plus d’envers ni d’endroit, plus de haut ni de bas. Là-bas plus de larmes, plus de guerre, plus de torture, là-bas tout est calme.
L’Europe aura trouvé la solution ; loin des yeux, loin du cœur. Le flux restera au milieu des flots. La mer étouffera peut-être notre silence. Ma mer, celle de mes frères Italiens, Tunisiens, Portugais ou Marocains n’aura plus jamais la même odeur. Je suis né proche d’elle, j’ai grandi avec elle, maintenant quand je la goûte elle a le goût des larmes, je ne sais pas si c‘est elle qui pleure ou bien si c’est moi, ou alors est-ce les larmes de ses nouveaux enfants morts dans l’indifférence. Ma pauvre mer est accusée d’avoir noyé une partie de l’Humanité. Elle est suspectée de crime contre l’Humanité.
Ma mer, les jours passeront et je continuerai à te défendre, tu resteras pour moi ni complice ni coupable, tu resteras témoin de l’indifférence. Je garderai la conviction de ton innocence mais je ne pourrai plus me laisser porter par ta douceur, ni me laisser bercer par tes vagues, elles sont pour moi la résonance de ces dizaines de milliers de cœurs éteints, de ces poumons gorgés de toi.
Prends soin de moi, venge toi tant que tu pourras, même sur moi si tu le veux, avale moi, broie moi, mélange moi à toi, montre nous que tu es notre mer à tous, que ton rôle est de nourrir l’Humanité non de l’avaler.
Je sais que tu en as vu d’autres, je sais que tu connais mes semblables mieux que moi, je suis désolé de ne pas avoir ton calme ni ta sérénité. J’aurais voulu être toi, j’aurais voulu être tes vagues violentes pour recracher ces milliers de corps en décomposition sur les responsables de ce crime contre la Vie. J’aimerais que l’odeur putride embaume ces hommes gris aux sourires froids, j’aimerais enduire de viscères en décomposition ces députés, ces ministres, et ces préfets. Ici l’odeur est bien trop douce pour eux. Le monde est injuste, les coupables aux mains propres se déculpabilisent avec cette devise « on ne peut pas accueillir toute la misère du monde », mais la misère je la vois dans leurs yeux, ils sont la misère-même, la misère capable de tuer une partie de l’humanité, le sourire aux lèvres. Votre effroyable cynisme rend l’Humanité hideuse. Un jour nous vous jugerons en espérant que nous ne devenions pas comme vous car malheureusement vous n’avez pas le monopole de l’ignominie.
Cédric Herrou

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