Tu sais que tu veux tellement vivre
Les enfants changent, ils grandissent vite. On sait maintenant que derrière leurs visages fermés et leurs efforts des premiers jours pour ne pas prendre trop de place et ne déranger personne, un tel a désormais un air espiègle, celle ci est un peu insolente, bref, ce sont des enfants. Ils s'ouvrent, font enfin des bêtises, cherchent notre attention et testent toutes nos limites.
Katrina est dorénavant la star de l'école de Tourves, elle interprète la pop de son village comme personne. J'ai appris ce matin que Zlata n'a que huit ans! Elle me rappelle une gamine de Vaulx en Velin qui me faisait péter les plombs aussi jusqu'à ce que je l'engueule un peu trop fort et qu'elle s'accroche à ma taille comme une naufragée à une bouée. Elle ne me lâchait plus, j'avais compris ce jour là que son père était en train de mourir, elle aussi venait de l'est. Zlata a le même profil, une vraie teigne, un sourire immense, une énergie de folie, elle marche sur toutes les lignes qu'on essaie de dessiner en collectivité. Son père est loin, il est bloqué en Ukraine par la loi martiale.
Les femmes qui s'approchent de nous viennent à tous les rendez vous de Denise. Elle a gagné leur confiance et leurs gamines. Elles deviennent amies aussi. ça fait deux jours que Iana nous offre le chocolat chaud ou la camomille à 18h. Nonna, sa fille, a beaucoup changé. Elle a abandonné ses tresses serrées et sa tignasse se balade au vent. Elle est grande et bronzée, s'écorche les genoux et se pend aux balustrades. Du haut de ses quatre ans, elle est hyper douée avec ses mains. Elle vient tous les soirs avec Katrina chercher Denise « Masterclass ? ». C’est l’heure de l’atelier. Yulia et Oksana viennent aux goûters de Iana.
Je crois que nous sommes les premières à leur avoir souhaité la bienvenue. Les yeux se sont agrandis. "Spasiva", ça veut dire "merci". Tout le monde parle russe. Le cercle s'agrandit chaque jour. Grace au traducteur de Google, Denise les fait parler, les écoute, reprend son taf de psy. Joe, Elise et Louis attendent notre feu vert pour faire une grosse daube de sanglier. Pour 50 personnes. Ce sera jeudi prochain.
Piotr adore le karaoké. Avec son vieux survêt, il a amené sa famille hier. Il y avait du Mistral, on pensait n'avoir personne. "-Karaoke?" -"Ok". Ils écrivent en cyrillique leurs chanson sur le smartphone de Denise, on copie colle sur youtube et c'est partit. Les mamies sont venues. Une dame en robe rouge chantait trop bien. Ils adorent les chansons kitsch et les connaissent toutes par cœur. « T’as pas une chanson qui s’appelle : Tu sais que tu veux tellement vivre » ? « Tu danses ? » -« Oui ».
Quand on organise des rendez vous de partage conviviaux, ils ne viennent pas les mains vides. C’est important de pouvoir donner aussi. Lundi dernier, ils étaient quarante. Les hommes sont fiers. Surtout avec les femmes. Il faut dire qu’ils sont minoritaires. Il y en a un qui veut aider Jamel à mettre la piscine en eau « Nous on faisait du business, on a tout perdu », il est venu avec toute sa famille. Chez les Gitans, tout le monde part ou tout le monde reste. Il s’approche de moi en mimant une liasse de billet « Champagne, une bouteille! » « -On vend pas de champagne ». Il est très surpris et acceptera qu’on lui offre un verre de rosé. Volodymir était chef de chantier à Kiev, il nous aidera à faire notre fresque de coquelicots. « Je suis désolé d’être ici » « T’inquiète, demain y’aura la paix, t’es le bienvenu », il sourit comme mon père.
Les petits veulent se faire tatouer, « les dreadlocks ne sont pas très populaires en ukraine », certains veulent aussi des cheveux bleus et roses… Iana est coiffeuse à Kiev. Son mari gère l’administration de leur salon et tient le café. Ils construisent une maison avec son père. Elle a peur de l’avion, mais pour venir à Marseille, il fallait faire sept changements. Elle pensait n’avoir plus peur de rien après être restée 11 jours sous la terre pendant que les russes pilonnaient son quartier, mais comme elle a trouvé des billets à 11euros depuis la Slovaquie, elle a dû prendre son courage à deux mains. C’est comme ça qu’elle est arrivée à Marseille avec Nonna et sa grande.
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