Le sanglier
Hier, les gens n'étaient pas bien. On n'a pas besoin de regarder les infos pour voir quand ça ne va pas. Volodymyr s'est approché du point rencontre. Il faisait une chaleur à mourir. Les petits accouraient « Sirop, sirop Emilie ».
« Tu veux de l'eau ? » « No thank you I need to practise ». Il est venu parler. « Il faut que je parle à quelqu'un, je suis resté enfermé toute la journée à cause de la chaleur. » J'interromps ma conversation avec deux bénéficiaires qui ont amené des tuiles aux amandes à partager pour l'apéro des régions. Personne d'autre n'est venu hormis les enfants qui piaillaient comme des oiseaux pour me demander à boire. Cette semaine, on arrive chacun à prononcer petit à petit les prénoms des autres, et ça fait plaisir.
Après avoir échangé quelques banalités en anglais. Je lui demande où est sa femme.
« Elle est repartie à Kiev.
_...A Kiev ?
_ Oui, elle avait un rendez vous important de révision chez son chirurgien.
_Mais...elle est partie en avion ? » Il s'énerve.
_ Mais il y a la guerre ! Il n'y a plus d'avion en Ukraine ! C'est trop dangereux ! Elle est partie en bus en Pologne et elle a passé la frontière. Elle attend un train qui partira demain pour Kiev.
_... Elle est partie seule ? .
_ Elle est partie avec le mari d'une amie, moi je n'ai pas voulu y aller. Mais je regarde tous les jours ma maison depuis nos caméras de surveillance. On est partis trop vite. On a vraiment eu peur. On pensait que la guerre allait durer un mois ou deux. Mais ça ne s'arrête pas...
_ Tu vois l'intérieur de ta maison depuis Tourves...
_ Oui ! Tout va bien, mais l'herbe a drôlement poussé ! »
Les femmes arrivent avec leurs broderies débutées vendredi. Ça n'est pas du tout au programme. Mais elles sont là. Vendredi, elles sont venues et ont brodé pendant quatre heures. On a fini à 22h. Nonna aidait sa maman puis Denise qui la relayait. Sa mère brode les contours de sa main aux couleurs du drapeau ukrainien. La petite est tellement minutieuse... Une grande plante l'aiguille et la petite tire, elle replonge l'aiguille parfaitement sur le dessin. Son dessin. Elle a dessiné sa maison et à côté « papa » dans un cœur. Pour ce dessin là, sa mère n'arrive pas à l'aider... Ça, c'est le projet de Denise, tisser des liens entre les violences du Mexique et de l'Ukraine à travers un art populaire cher aux deux pays : la broderie. La première semaine, seuls quelques gamins sont venus dessiner. Mais là, c'est parti. Cette guerre 2.0 aura ses dessins inspirés des réseaux sociaux sur des mouchoirs. Le cardiogramme est à la mode on dirait.
Zetlana est venu avec sa fille et sa belle fille. « On peut avoir du sirop nous aussi s'il te plait ? Avec des glaçons c'est possible ? » C'est la première fois qu'elle vient à nos activités. Volodymyr me glisse que son fils vient d'être fait prisonnier par les russes. Je lui demande « comment on dit Gitan en ukrainien ?_Je ne connait pas ce mot... » Je déchiffre doucement sur le traducteur de google à mesure que j'écris Tzi...gan. Il me fait oui de la tête. Vendredi on est allés les inviter spécialement pour le repas offert. Le grand père était méfiant « Elle veut de l'argent ! ». Sur la table, une mauvaise impression du trajet jusqu'à Bucarest prenait le soleil. « Mais non, elle nous invite » « C'est le fils de Joe, il a chassé un sanglier, c'est gratuit. » . Je mime le chasseur « on va le manger le sanglier ». Le fils rit, « oui, oui, inscrit nous, on va le manger ! ». Le grand père ne viendra pas.
Le sanglier, ça a été la première terreur des réfugiés. Quand le centre était vide, Yulia en a vu un rôder autour de son gîte. Comme elle est vétérinaire, elle a peur d'une maladie transmissible à l'humain. Ils étaient tous terrorisés ! Lors d'une réunion, ils nous ont demandé : « Mais que doit on faire quand on est face à un sanglier ? » On s'est regardés, gênés, « bah... si c'est pas une femelle qui se sent agressée, normalement il s'en va. On n'a pas le souvenir d'une attaque de sanglier à Tourves...
_Mais...il faut que vous rebouchiez les trous dans les grillages !
_Oui, oui, on va reboucher. »
Joe a trouvé la solution : une daube ! En même temps, si la terreur nocturne des ukrainiens c'est un cochon sauvage, c'est plutôt rassurant non ?
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